L’Offshore est de plus en plus présent, avec ses tarifs alléchants et son coté exotique ; ceci est un fait ! Cependant, l’informatique n’est pas une industrie manufacturière et bien que certains entendent la délocaliser pour réaliser de substantielles économies, il ne semble pas évident que celles-ci soient aussi simplement réalisables.
En parallèle de cela la question de la formation en Europe se pose : nous formons des informaticiens à un métier presque exclusivement technique, métier qu’ils n’auront que peu le temps d’exercer pour basculer au plus vite dans des domaines fonctionnels aux antipodes de leur formation.
Qu’est-ce que l’Offshore aujourd’hui : c’est avant tout la délégation de tâches de réalisation de programmes informatiques (développement). Ces développements sont effectués en Asie (principalement en Inde) où le coût d’un informaticien à la journée tourne autour des 80 euros ; soit 5 à 10 fois moins que son homologue Européen. Mais voila, avec ces bas coûts viennent se greffer les milliers de raisons qui les justifies et qui viennent impacter très fortement le budget global d’un projet : distance, différence de langue, différence d’horaire, différence de façon de travailler, de culture .. et surtout un turn-over extra-ordinaire qui réduit à néant tous vos efforts de formations ou de partage de nouvelles méthodes de travail comme toutes capitalisations liée à la réalisation de projets successifs dans un même contexte. En effet, avec un salaire de quelques centaines d’euros par mois, pour 10 euros de plus vous partiriez n’importe où d’autant que l’on recrute à grand coup d’affiches 4×3 dans les rues de Bombay.
La main d’oeuvre Indienne est certes réputée dans les domaines de l’informatique, je ne vais pas remettre en cause leur compétence, toutefois un ingénieur indien a un BAC+3, ce qui dans le domaine de l’informatique et particulièrement dans celui de la programmation objet représente une grosse différence.
Bref, actuellement l’offshore n’est actuellement valable que pour des projets où la part de développement est suffisante pour que les bas coûts, impactés par l’augmentation de la complexité, restent rentables. De très gros projets donc.
Ma réflexion n’est pas vraiment de vous convaincre que l’offshore n’est pas rentable d’autant qu’il doit l’être puisque de plus en plus de monde s’y met. Il s’agit plutôt de se demander pourquoi nous ne sommes pas compétitifs en Europe alors que nous devrions avoir une productivité bien supérieure à celle de nos collègues indiens ?!?
L’informatique est une prestation intellectuelle, de ce que je sache, c’est encore là dessus que les pays développés sont encore compétitifs, pourquoi l’informatique serait différents des autres métiers ?
La particularité de l’informatique tien peut être de la différence qu’il y a entre le métier d’informaticien tel qu’il est enseigné et la réalité de la carrière qui suit les études. L’informatique, dans les domaines de la programmation, de l’exploitation, des réseaux est un métier technique, plutôt mal connu et qui demande un enseignement lui aussi technique, d’au moins 2 ans mais plus souvent de 3 à 5 ans maintenant. C’est une voie dans laquelle s’engage plutôt par hasard bon nombre de candidats. Cette formation me semble incontournable car l’informatique moderne repose sur de très nombreux concepts qu’il est nécessaire d’appréhender correctement pour être capable de s’adapter aux évolutions très rapides du métier : il est en effet possible d’apprendre en quelques mois un langage spécifique, mais l’excellence dans la programmation, l’adaptation à d’autres langages, l’optimisation sont des domaines nécessaires qui demandent de l’expérience. En informatique je dirai qu’il n’y a rien à apprendre mais tout à comprendre, par rapport à l’enseignement secondaire, c’est une toute nouvelle façon de penser qu’il faut apprendre : l’informatique c’est un légo dans lequel il faut imaginer l’emboîtement de briques algorithmiques, un puzzle et ceci est très loin du raisonnement mathématique et impossible à concevoir par simple apprentissage.
Bref, la formation technique est nécessaire, plutôt longue pour être productif et l’expérience joue un rôle prépondérant dans la productivité du programmeur.
C’est ce dernier point qui est primordial ! Un développeur ne deviendra productif que quand il maîtrisera le langage d’un part, mais surtout lorsqu’il aura mis en place les mécanismes cérébraux lui permettant de concevoir ce puzzle multi-dimensionnel (structure des données/algorithme/langage/modèle d’architecture/temps…). De part mon expérience, je dirai que ceci demande 2 à 3 ans de formations en informatique (soit un niveau dut ou ingénieur) et plutôt 3 ans pour les langages objets ; mais ce n’est toutefois qu’après 2 à 3 années de pratique en entreprise que le développeur sera vraiment productif à mon sens, sans pour autant atteindre un maximum (qui requiert sans doute 7 ou 8 ans d’expérience).
Le gain de productivité en informatique est colossal : entre un étudiant en première année classique et un développeur expérimenté le coefficient de productivité est de l’ordre d’un facteur 20 ; tout en considérant que le premier n’arrivera peut être jamais à une solution si la complexité est importante. Il reste d’un facteur proche de 10 pour un étudiants sortant de l’école et mon estimation pour un développeur avec deux ans d’expérience d’un facteur 2 à 3.
Pourquoi face à cela ne sommes nous pas compétitifs ? Selon moi, la carrière technique d’un informaticien ne dure pas plus de 2 à 3 ans et ce, à la sortie des études. En bref, l’informaticien quittera ses tâches de développements dès lors qu’il deviendra productif en la matière. La faute à quoi ? Simplement au système qui veut qu’un développeur soit au bas de l’échelle et qu’il n’ait comme perspective d’évolution salariale que l’unique choix de quitter son domaine d’expertise pour s’orienter vers des domaines plus fonctionnels pour lesquels il n’a jamais été formé et pour lesquels il ne trouvera pas forcement la même motivation que pour le développement.
J’ai bien du mal à expliquer les raisons de cela d’autant qu’il me semble qu’il s’agit là d’une aberration économique. Toutefois quelques facteurs me semblent expliquer cela :
Bien que les domaines fonctionnels ne requièrent que peu de connaissances techniques, un bagage informatique reste nécessaire dans la rédaction de cahiers des charges où le test. Par ailleurs la part du développement dans un projet ne représente que 25 à 50% du projets. Indiquant par là que pour 1 poste de développement, il est nécessaire d’avoir 3 personnes d’orientation fonctionnelle pour s’occuper du projet. Enfin, il faut reconnaître que l’orientation informatique pour beaucoup n’a sans doute pas été la bonne et que fuir sa composante technique est une chance. Le dernier point qui me vient à l’idée et que pour un non informaticien, la programmation est une chose inintéressante, incompréhensible, de là, quitter cette branche est une opportunité aux yeux d’un RH.
En conséquence de tout cela, l’état dépense beaucoup d’argent pour la formation technique d’informaticien durant 3 à 5 ans. Les entreprises n’utilisent ces compétences que durant les 2 à 3 ans qui suivent alors que “l’outil” n’est pas encore productif. N’est-ce pas du gâchis ?
En parallèle, les informaticiens que nous formons, lorsqu’ils entrent sur le marché du travail ne sont pas préparés à leur futur métier et doivent vivre une carrière qui ne correspond pas à leur projections.
Pour conclure sur ce sujet, je dirai que l’informatique va assez mal, nous avons le choix (actuel) d’arrêter son approche technique et de perdre alors une technique que nous maîtrisons sans aucun doute mieux que les pays émergeants ; la conséquence en sera la disparition de l’industrie informatique de création logicielle en Europe alors que comme nous le montre Microsoft c’est une des industries les plus rentable du monde, principalement intellectuelle et correspondant donc au modèle de croissance de notre société. Auquel cas la formation est à revoir totalement avec sans doute une approche généraliste ou commerciale avec option métier de l’informatique.
L’autre solution serait, me semble-t-il plus juste, de valoriser l’investissement de formation réalisé par l’état en valorisant la filière technique de l’informatique. En reconnaissant ce métier à sa juste valeur et en offrant des plans de carrière dans ce domaine. Comme je l’ai expliqué, le coût jour n’a aucun sens. Nous comparons le coût d’européens débutant vendu 3 fois leur salaire par des SSII à celui d’indiens plus expérimentés mais pas forcement plus productifs. Nous oublions fréquemment de considérer les coûts annexes de pilotage ou les retards que nous n’aurions pas eu en travaillant localement…
Enfin pour finir, je me pose toujours la question de cette spécificité de l’informatique : pour la construction de nos ponts, de nos immeubles, est-ce que les architectes Européens sont remplacés par des architectes Chinois à moindre coût ?!? Il ne me semble pas. Est-ce que cela viendrait à l’idée de quelqu’un d’arrêter la carrière d’un architecte juste à la fin de sa première réalisation ? Je ne pense pas, dans tous les autres métiers intellectuels, l’expérience est fortement valorisée. En informatique nous n’obtenons que le droit de basculer vers un métier qui n’est pas le notre, un métier meilleur pour nous parait-il !